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Louis-Alexandre Rémondière (1857-1895), militant politique de tradition paysanne, a fait l’objet d’une publication de Raymond Proust en 1982 dans le bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres. Cet ancien maire de la commune de Loubillé, avocat et docteur en droit, y est né le 6 mars 1857.

Nous aurons toujours un immense plaisir à lire Raymond Proust car c’est lui, sans doute, qui nous a donné le goût de l’histoire. Pendant l’intercours de sciences physiques et chimie, ou géologie, ce professeur au collège de Chef-Boutonne nous parlait avec saveur de ses recherches archéologiques. Nous n’allons pas recopier toute sa publication, mais y puiser l’essentiel.

« Ses parents s’étaient mariés le 10 juillet 1855 à Loubillé. (…) La jeune épouse, Alexandrine Vannereau, s’était installée avec son mari chez sa belle-mère, veuve depuis dix-huit ans. La maison n’avait que deux chambres. C’est dire que les Rémondière étaient de condition modeste (…). Louis-Alexandre fut poussé aux écoles et sortit de sa condition1 » (…)

Il contractera des idées républicaines et ne s’en départira jamais. Cela grâce à son cousin bienfaiteur, Auguste Delaubier, dont il épousera la fille Nelly-Louisa2 le 11 avril 1882 à Chef-Boutonne.

Il est affecté en Gironde, à Lesparre. Ce qui lui permettra d’étudier le droit à Bordeaux. En janvier 1879, il revient à Melle et il va à Poitiers poursuivre ses études de droit. Il devient surnuméraire de 6e classe et part dans le Var, à Aups. Il demande le rapprochement de sa famille… il est affecté dans la Sarthe, à Vibraye le 5 décembre 1881 (…).

Il se marie le 11 avril 1882 à Chef-Boutonne. Sur l’acte de mariage, Louis-Alexandre Rémondière qui a 25 ans, licencié en droit, est dit receveur de l’enregistrement de Vibraye dans le Var, ce qui est faux bien sûr car Vibraye se situe dans la Sarthe comme le précise Raymond Proust.

(…) Et c’est en position de non activité qu’il sera obligé de préparer son doctorat en droit à Poitiers. Le 10 avril 1884, il réintègre l’administration à Trois-Moutiers (Vienne).

Mais en mars, il venait d’entrer dans le conseil municipal de Loubillé. D’où une nouvelle période de « non activité » et la poursuite du doctorat à Poitiers où il soutient sa thèse : « De la levée des impôts en droit romain, des réversions de propriété, d'usufruit et de rentes viagères devant la loi fiscale, en droit français, de la levée des impôts, en droit romain, des réversions de propriété, d'usufruit et de rentes viagères devant la loi fiscale, en droit français ».

Receveur de 4e classe, il est nommé à Chef-Boutonne le 6 février 1887 où son beau-père est maire depuis le 6 décembre. Le 18 septembre 1890, il s’établit à Melle en tant qu’avocat. Pour propager ses idées politiques, il crée le journal Le réveil des campagnes. Le premier numéro paraît le 10 mai 1891, le gérant est Alexis Favraud…

Malgré son journal, sa mairie, ses conférences, sa propriété de Loubillé, son cabinet d’avocat à Melle, malgré sa campagne électorale de 1892 pour le renouvellement du conseiller général de Chef-Boutonne (…), sa fonction de maire de Loubillé depuis cette même année, Rémondière trouvait encore le temps de rédiger et d’imprimer des ouvrages de droit.

Raymond Proust cite entre autres ouvrages :

Les congrégations religieuses, le fisc, le Parlement et la Cour de cassation, 1891 ;

Une chambre de paysans, Paris 1893 ;

Les charges du paysan avant la Révolution de 1789, 1894, etc.

En juin 1893, il quitte Melle et s’installe à Ruffec, toujours comme avocat. Il est encore maire de Loubillé, mais il démissionne en 1895. Il décède le 25 août 1895 « en congé de maladie » à Loubillé où il est inhumé.

« Sa conduite ambiguë en marge des grands courants politiques l’a fait soupçonner d’agir plus par ambition que par conviction. Cependant, il était assez intelligent pour s’apercevoir qu’en contrariant tantôt les uns, tantôt les autres, il contrariait tout le monde. C’est donc qu’il agissait plus par conviction que par ambition, une condition qui le poussait à combattre sans arrêt pour les paysans, à combattre le fisc, les bourgeois, les villes, c’est-à-dire une conviction qui en faisait véritablement un militant politique de tradition paysanne. »

1 Grâce à son cousin Auguste Delaubier (1824-1897), marchand de fer, puis d’engrais, qui était un militant républicain. Conseiller municipal, Auguste Delaubier fut maire de cette commune de 1886 à 1893.

2 Nelly-Louisa Delaubier, née le 17 mai 1862 à Chef-Boutonne d’Auguste Delaubier et Antoinette Vivien, décédée en 1942, inhumée à Loubillé.

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Pour mieux connaitre Louis-Alexandre Remondière, voici sa nécrologie.

M. LOUIS-ALEXANDRE RÉMONDIÈRE, né à Loubillé (Deux-Sèvres), le 6 mars 1857, y est mort le 27 août 1895.

Pendant trente-trois ans, car la vie intellectuelle a commencé pour lui à l'âge où d'habitude les jeux et l'insouciance de l'enfance entraînent tout et font les heures courtes, Rémondière a donné l'exemple du dévouement aux siens et s'est imposé le labeur obstiné dont il est mort.

Il connut à peine son père, mort vers 1860 ; à cinq ans, il allait à l'école, et sa mère, une vaillante femme, épuisa ses ressources pour l'envoyer au Lycée de Niort, en 1871. Le proviseur étonné des aptitudes de l'enfant et de sa rare puissance de travail, prévint sa famille, intéressa l'un de ses oncles à son avenir et obtint de lui qu'il ferait les frais de deux années d'études. Le jeune Rémondière n'avait eu que des leçons de français et de calcul ; en deux années, il apprit le latin et le grec et fut reçu bachelier ès sciences en 1874. Obligé, faute d'argent, de revenir près de sa mère à Chef-Boutonne, il fut pris en affection par le receveur,de l'Enregistrement qui l'admit dans son bureau et dirigea ses travaux vers la préparation au concours du surnumérariat. Cet esprit net, ce caractère ferme, comprenant qu'il fallait faire sa trouée, ne compter que sur soi et arriver à une situation qui le fît vivre, si modeste qu'elle fût, s'opiniâtra dans une laborieuse application qui, en se prolongeant à travers de dures privations, devait ruiner sa santé et l'enlever prématurément à l'affection des siens et à l'estime sympathique de ceux qui le connurent.

Il réussit au concours ; surnuméraire à Bordeaux en 1876, il profita des ressources de la grande ville pour continuer et compléter ses études ; ses seules distractions étaient de suivre des cours et de former son jugement aux conférences de la Faculté. Tout en faisant preuve d'une assiduité professionnelle rare et qui lui valut d'être choisi, malgré sa jeunesse, pour gérer par intérim des bureaux importants, il obtint le diplôme de bachelier ès lettres en 1878, et, en 1879, les distinctions fort disputées dont disposaient l'Ecole de Notariat et les Cours spéciaux d'Economie politique.

Nommé surnuméraire à Melle, en 1879, le rapprochement de sa famille ne ralentit pas des efforts de travail rendus plus difficiles par la privation des livres et des leçons. Il voulait être docteur en droit et ne perdit pas de vue un seul instant le but qu'il s'était fixé. En 1880, il subit, à Poitiers, son premier examen ; nommé Receveur à Aups (Var), il passe ses nuits sur les livres que ses amis lui prêtent, et, quoique très éprouvé par le climat du midi, bravant malaises et fatigues, est reçu licencié en droit en novembre 1881. Sa mère ne l'avait point quitté.

Nommé receveur à Vibraye (Sarthe), il se marie en avril 1882, puis, dès le mois d'août, emporté par la généreuse ambition de faire à sa femme la place qu'il rêve pour elle, il demande sa mise en disponibilité, s'installe à Poitiers et passe avec succès, en 1883, l'examen de droit romain (1).

La maladie a raison de cette violente énergie, et comme il ne peut pas plus se passer de travail que d'argent, les médecins le condamnant au repos, il rentre dans l'Administration. Receveur en février 1884 à Trois-Moutiers (Vienne), bureau très chargé et qu'il s'obstine à gérer sans collaborateur, il est de nouveau forcé de prendre un congé indéfini. Ce congé ne sera pas un repos.

Docteur en droit en 1886, il publie ses thèses et en tire deux publications importantes dont les juges compétents firent un éloge mérité.

L'une, sur la levée des impôts d'après le droit romain, rattachait les plus anciens textes de la fiscalité latine aux origines des taxes gallo-romaines, bases de notre législation française.

L'autre, intitulée : Des réversions de propriété, d'usufruit et de rente viagère devant la loi fiscale, visait particulièrement le droit d'accroissement et anticipait sur la fameuse décision du Tribunal civil de la Seine en 1887. On a pu en dire que l'étroite association du droit pur et de la science fiscale en faisait un commentaire excellent des lois de 1880 et de 1884 (Annales, 1887, 178).

L'Administration le réintègre une seconde fois dans ses cadres et, appréciant son mérite, lui donne le bureau de Chef-Boutonne, dans son pays (février 1887). Ses forces le trahissent de nouveau ; désespéré de paraître inquiet et versatile alors qu'il n'est que malade et malheureux, il reprend sa liberté à titre définitif, croit-il, et se fait inscrire au barreau de Ruffec. Il prend vite une bonne place parmi les avocats consultants ; il plaide peu, car sa voix et sa poitrine sont faibles ; mais son sens droit, sa science juridique, sa réputation d'intégrité lui amènent de nombreux clients et il crée rapidement un cabinet. Malheureusement, les instances de ses amis et le désir, qu'il ne s'avouait peut-être pas à lui-même, d'arriver plus vite par cette voie à une position stable, le firent s'égarer dans la politique.

Conseiller municipal à Loubillé depuis 1884, maire depuis 1891, il ne réussit pas à se taire nommer conseiller général et ses amis politiques lui créèrent imprudemment des oppositions et des inimitiés dont son caractère généreux et loyal eut beaucoup à souffrir.

Son rêve était d'entrer dans la magistrature et d'être nommé juge dans une ville du midi offrant assez de ressources pour qu'il pût y élever ses enfants à l'abri des épreuves dont il avait souffert lui-même dans sa jeunesse ; sa candidature était posée dans le ressort de Bordeaux et sympathiquement accueillie par la Cour. Les nombreux changements qui se produisirent de 1891 à 1895 à la Chancellerie diminuèrent ses chances, et le découragement le prit.

Cette période de sa vie fut cependant des mieux remplies. Avocat recherché à Melle et à Ruffec, collaborant par des consultations juridiques à la Revue du Notariat et par d'excellentes études fiscales aux Annales de l'Enregistrement, membre assidu de la Société de statistique des Deux-Sèvres, il publia des travaux de premier ordre qui lui valurent de précieux suffrages en dehors du cercle restreint de la notoriété provinciale.

Ses controverses à propos du droit d'accroissement furent fort appréciées et il indiqua le premier cet expédient d'une taxe d'abonnement qu'il vit avec une légitime satisfaction accepté et consacré par la loi de 1895.

Dès 1886, il avait remanié sa thèse sur le droit de réversion dans une brochure éditée chez Rousseau ; les grands débats qui s'engagèrent sur ce vaste sujet retinrent son attention, et sa curiosité juridique, si bien servie par sa science du droit, s'y attacha avec une sorte de prédilection.

En 1890, il publia chez Marchal et Billard le dossier complet du grand procès de l'Enregistrement avec les Congrégations religieuses sous ce titre suggestif : Les Congrégations religieuses, le Fisc, le Parlement et la Cour de cassation. Cet important travail fut très lu ; il restera comme un document juridique essentiel à consulter par tous ceux que préoccupe la grave question des biens de main-morte (Annales, 1890, 551 ; 1891, 88.) Une seconde édition parut en 1892 (Annales, 1892, 369). Sa collaboration à notre Revue porta spécialement sur cette question, dans laquelle sa compétence était si universellement reconnue que personne n'eut jamais l'idée d'aborder ce sujet avant ou après lui (2).

Vivant dans un pays agricole, en contact avec les paysans, son goût pour les recherches historiques et sa passion de la justice trouvèrent également une ample satisfaction dans l'examen des questions rurales, aussi bien en matière de décentralisation qu'en matière d'impôts. En 1893, il publie son premier ouvrage politique : Une Chambre de paysans (3) ; nous avons, dès son apparition, signalé la nouveauté, le mérite de ce livre, écrit avec une sobre éloquence et une logique inflexible (Annales, 1893, 369 : Les taxes foncières et la propriété rurale à propos d'un livre récent).

La thèse est simple. Rémondière, envisageant la crise agricole dans son origine et dans ses conséquences, a pris la question par ses côtés les plus négligés. 11 a cru faire œuvre utile en recherchant dans l'histoire du paysan la cause du mal économique et social dont il a toujours souffert, et il a cru trouver cette cause dans le défaut de représentation parlementaire de cette catégorie de citoyens, pourtant en majorité dans la nation.

Rémondière a été sollicité toute sa vie par l'inquiétant problème de l'incidence de l'impôt. La droiture de son caractère l'y portait autant que la contingence de ses travaux professionnels. Ses premières années dans la pratique de l'Enregistrement lui ont fait sentir les iniquités latines en matière de successions et d'hypothèques ; il a vu de quel poids l'arbitraire fiscal pesait sur les transactions et, par voie de conséquence, sur les conditions de la vie. Plus tard il recherchait par quelles subtilités juridiques et avec quel art ingénieux de la procédure certaines sociétés essayaient de se dérober à la part qui leur incombe des charges publiques.

Et toujours son instinct de l'équité le ramenait à cette troublante question : L'impôt est inégal ; sur qui pèse-t-il le plus lourdement ?

La réponse n'était pas douteuse : Sur celui qui ne se défend pas et ne peut pas se défendre.

Là est l'unité de sa vie intellectuelle, le lien qui rattache ses travaux et ses actes les uns aux autres ; encore un peu de temps et les hommes qui ont créé le Musée social et qui propagent avec autant de talent que d'ardeur l'étude scientifique du malaise des classes dans la société contemporaine, reconnaîtront, dans Alexandre Rémondière, un des leurs et accorderont à ses théories trop peu connues la place qui leur est acquise dans l'histoire des évolutions économiques.

En 1894, il donne le premier volume de son œuvre maîtresse, dans laquelle il voulait concentrer et résumer ses idées, ses instincts, ses théories économiques et ses vues d'équilibre social : Les charges du paysan avant 1789 (4).

Il nous est difficile de parler de ce livre comme nous le voudrions ; il nous a été dédié, et cet honneur nous gêne pour en dire tout le bien que nous en pensons ; nous en avons écrit la préface et en avons fait ressortir l'idée géniale (5). Il serait fâcheux que la seconde partie (Les charges du paysan depuis 1789) restât inédite ; la science sociale si à la mode en cette fin de siècle, et si appropriée aux conjonctures présentes, y trouverait des documents rares et de précieuses indications sur les régions du centre de la France. La première partie, consacrée à l'étude documentaire des impôts qui écrasaient le paysan sous l'ancien régime, jusqu'à concurrence, en Poitou, de la moitié de son revenu, sert de démonstration et de preuve aux conclusions de son ouvrage, Une Chambre de paysans. Prenant le roturier jusque dans le servage et vivant de sa vie jusqu'à sa délivrance des servitudes féodales, il le montre s'affranchissant par degrés, lui et sa terre ; il l'aurait montré de nouveau assujetti depuis un siècle à un esclavage aussi écrasant que l'ancien, la dette agraire, et impuissant à briser cette chaîne de l'hypothèque qui, triplant le poids déjà inégal des impôts, l'entrave, le désespère et le ruine.

Le paysan est la bête de somme du budget, c'est le mot de Léon Say dont Rémondière fit l'épigraphe de son livre.

Tout pénétré des clartés historiques qui venaient le distraire de la monotonie de ses travaux habituels, se passionnant pour des recherches qui ressuscitaient les générations de métayers et de laboureurs dont il voyait les arrière-petits-fils peiner autour de lui, il se laissa aller une fois encore aux entraînements de sa généreuse nature et voulut parler aux paysans d'à-présent comme il l'eût fait à ceux de l'autre siècle. Il créa un journal dont le nom seul était un programme : Le réveil des campagnes. Imprimée sur du papier grossier, avec des caractères usés, mais rayonnante de mots ardents et riche de conseils pratiques, cette feuille allant de ferme en ferme porter la bonne parole des leçons de choses, l'enseignement du paysan qui sait au paysan qui se méfie, rappelle ces colporteurs du XVIe et du XVIIe siècles, transportant de village en village les petits livres qui parlaient de liberté, de croyance, et que les maîtres du jour poursuivaient de leurs quolibets ou de leurs menaces. Ce n'était pas le journalisme des opportunistes ou des radicaux, mais le langage de Franklin ou de Couteau, la fine naïveté du Bonhomme Richard avec quelques malices à la Paul-Louis. Rémondière rédigeait seul son Réveil, avec une vivacité d'allures remarquable, une éloquence entraînante et simple, abordant les problèmes du jour par leur côté pratique, montrant aux paysans l'importance des élections, la gravité du choix des candidats, les devoirs des élus, la nécessité des économies et des dégrèvements.

Nous sommes de votre race et de votre sang, disait-il aux paysans des Deux-Sèvres ; nous avons vécu au milieu de vous, de vos sentiments, de vos espoirs ; nous connaissons vos besoins, vos privations même. Causons de ce qui vous touche, examinons ensemble ce qu'on pourrait faire pour répondre à vos réclamations et satisfaire à cet appétit de connaître, d'apprendre, d'agir, qui vous tourmente et vous possède.

Pour arriver à votre esprit, il faut toucher à vos intérêts et vous montrer de haut ce qui les gêne et ce qui les excite. Répondez-moi à votre tour, et bientôt, il n'y aura pas un laboureur, pas un bordier, pas un métayer, pas un instituteur, de Thouars à St- Jean et de Parthenay à Luçon qui ne lise, ne goûte et ne propage nos entretiens. Je ne demande pas à ce que vous adoptiez mes idées, je voudrais seulement que, sur les objets dont nous parlerons, votre opinion se formât d'elle même par la réflexion et la discussion. Je ne cherche pas davantage à vous amuser; je vous parle comme à des hommes libres (6).

Il ne fut pas compris. Il y épuisa ses forces, il y engloutit la dot de sa femme, aussi généreuse que lui et qui vivait des mêmes illusions. On crut qu'il voulait en faire à son profit un instrument de propagande ; ce n'était que le commentaire de sa propre vie, la mise en dehors de ses ambitions spirituelles, l'expression intégrale de son activité. La courte collection du Réveil des campagnes qui vécut du 10 mai 1891 au 31 décembre 1893, est, à notre avis, un véritable monument de bon sens ; conservé dans les archives de Loubillé, de Melle, de Chef-Boutonne et de Ruffec, il y maintiendra le souvenir de l'honnête homme, du citoyen courageux et désintéressé que fut Rémondière.

En 1894, malade, aigri, découragé, se voyant déçu dans ses plus légitimes espérances, négligé par ceux dont il avait si brillamment plaidé la cause, desservi par les ambitieux dont il s'était détaché, ayant à pourvoir à l'existence de sa femme et de ses quatre petits enfants, Rémondière se décide à un nouveau retour, plus douloureux que tous les autres, vers cette Administration qu'il quittait avec regret, qu'il retrouvait avec amertume, et qu'il ne pouvait s'empêcher de considérer comme son abri familial, comme le gîte auquel on revient exténué, blessé, attristé. Il faut le dire à sa louange, l'Administration ne marchanda pas trop ses faveurs à l'agent distingué dont elle appréciait le mérite (7). En juin 1895, Rémondière fut nommé receveur de 4e classe à Clermont (Hérault). A peine y était-il installé, que l'ardeur du climat lui rendit les malaises douloureux dont il avait souffert lors de ses débuts à Aups en 1880. Mais quinze années d'agitation et de surmenage avaient affaibli ce corps délicat, qu'une énergie surhumaine et la volonté de vivre pour les siens maintenaient seuls debout. Le même instinct qui l'avait ramené vers l'Enregistrement le ramena vers son pays natal. A peine de retour à Loubillé, il s'y éteignit, comme une lampe qui n'a plus d'huile (8).

Ses obsèques ont eu lieu le jeudi 29 août 1895 ; la petite église de Loubillé était trop étroite pour contenir la foule qui se pressait à ces funérailles d'une touchante simplicité. Il avait interdit toute manifestation d'apparat et tout discours. L'affluence de ces paysans dont il avait passionnément plaidé la cause était l'éloquent témoignage de la reconnaissance publique pour des services dont on commençait à apprécier le prix et pour un désintéressement bien rare à notre époque. Fils de paysan, né pauvre et mort pauvre, notre ami n'avait ni l'amertume des gens de mérite distancés par les médiocres, ni la brutalité des ambitieux possédés du désir de parvenir. Son âme comprenait toutes les délicatesses, son esprit affiné ne heurtait aucune opinion ; son aménité, sa courtoisie le rendaient accessible, il n'avait de roideur que lorsqu'il s'agissait de lui-même. Ces qualités exquises ont été signalées par ses amis de la Revue poitevine et de L'observateur de Ruffec, déplorant sa perte prématurée ; et le regret attendri et silencieux qui se dégageait d'une foule où le magistrat coudoyait l'ouvrier valait les plus bruyants honneurs.

Si dévoué qu'il fût à ses devoirs de citoyen, de père, de fonctionnaire, Rémondière n'a pas été heureux ; mais il emporte avec lui l'estime de ceux qui mettent la conscience plus haut que le succès.

Toujours prêt à l'action, par la parole, par la plume, par les actes, Rémondière aimait le peuple et adorait ses enfants. Avec plus de santé, il aurait eu raison des obstacles et de la malchance.

Il ne voyait pas dans l'humanité un tourbillon de poussière, sans lien et sans nom ; il n'avait de vanité que pour les siens, son ambition était de laisser à ses enfants, à défaut de fortune,

un nom qui les servît et les protégeât. Il avait, sur la vie des sociétés contemporaines, les idées que Lacordaire a si merveilleusement traduites dans une éloquente formule : la société moderne est fondée sur deux idées capitales, qui peuvent s'obscurcir mais qui reparaissent toujours. La première de ces idées, c'est qu'il n'existe entre les hommes d'autre distinction sérieuse que la distinction au mérite personnel, et que ni la naissance ni la fortune, ni les emplois publics ne font rien pour élever un homme, s'il ne s'élève lui-même par sa capacité, ses services et sa vertu. La seconde, c'est qu'il existe au-dessus de tous, même au-dessus de la souveraineté, et en faveur de tous, des droits qui ne peuvent être ni retirés, ni méprisés, ni prescrits, et qui ne sont pas seulement protégés par la force idéale de la nature et de la religion, mais encore par la force sociale des lois, des mœurs et de l'opinion publique (1844, Eloge funèbre de Mgr. de Forbin-Janson).

Fils de ses œuvres, démocrate d'origine et de réflexion, Rémondière a toujours eu devant les yeux ces deux vérités.

Comme tant d'autres, il aurait pu rester en repos dans l'honorable situation qu'il s'était faite ; il n'a pu se résigner à se sentir supérieur à sa fortune sans essayer de mettre en dehors tout ce qu'il avait d'esprit et de cœur. Fidèle à ses principes, attaché à ses devoirs, il n'a vécu que pour créer une famille et répandre autour de lui l'amour des choses justes. Il a cru à la puissance du travail et de la volonté ; il nous laisse un grand exemple, le seul héritage de sa veuve et de ses enfants.

ST-GENIS.

Notes

(I) Voici ses étapes administratives : Surnuméraire à Bordeaux en 1876, à Melle en

1879 ; Receveur de 6e classe à Aups (Var) du 23 novembre 1880 au 17 novembre 1881 ;

Receveur de 4e classe à Vibraye (Sarthe) du 17 novembre 1881 au Ior septembre 1882;

interruption de services pour cause de santé (Etudes de droit à Poitiers) ; Receveur de

5° classe à Trois-Moûtiers (Vienne) du Il avril 1884 au 23 février 1885 ; interruptions

de services pour cause de santé (Doctorat, travaux juridiques) ; Receveur de 50 classe à

Chef-Boutonne (Deux-Sèvres) du lor février 1887 au 18 novembre 1890; interruption de

services pour cause de santé (Barreaux de Melle et de Rujfec, Mairie de Loubillé, période de

politique et de journalisme) ; Receveur de 40 classe à Clermont (Hérault) du 25 juin au

31 juillet 1895.

(2) Voici le rappel des articles publiés par M. Rémondière dans les Annales :

  • Compte-rendu du livre de M. Wahl sur les rapports du droit de transcription avec le droit de mutation à titre onéreux dans la législation française (Annales, 1887, page 177).
  • Les impôts contestés (Du droit d'accroissement dans les Congrégations religieuses), critique savante de la loi, des instructions équivoques données aux agents, des décisions judiciaires si variées dont la diversité fut telle qu'on ne put en former une jurisprudence (Annales, 1889, pages 108, 159, 221 et 274).
  • Les Congrégations religieuses devant la Cour de cassation (Annales, 1890, 25).
  • Les impôts contestés (Annales, 1890, 115).
  • Le droit d'accroissement (Annales, 1891, 170).
  • Les Congrégations religieuses et les Tribunaux (Allllales, 1892, 120).
  • Les biens de main-morte et les taxes d'abonnement (Annales, 1893, 150).
  • Le droit d'accroissement et la taxe de transaction (Annales, 1894, 45, 103, 306).

(3) Un volume in-8°, chez Guillaumin et Cio, à Paris.

(4) Un volume in-8° (Ir. partie), chez Guillaumin et Cu.

(5) Voir le compte rendu donné dans les Annales, 1894, page 312.

(6) Le journal avait pour titre : Le Réveil des campagnes, journal hebdomadaire d'économie sociale, d'histoire et de philologie, imprimé à Melle (Annales, 1891, 385).

(7) Notons ici, une fois de plus, la répugnance de la Direction générale à admettre que ses agents puissent être auteurs et publicistes, même en matière juridique. Avant sa réintégration de 1895, on fit une enquête pour constater si, dans ses ouvrages sur le droit d'accroissement, M. Rémondière ne s'était pas écarté de la réserve que lui commandait sa qualité d'agent de l'Administration. Le Directeur général ignorait que Rémondière avait été le plus chaleureux défenseur de l'Enregistrement et le commentateur le plus convaincu des textes, qui faisaient rentrer les biens de main-morte dans le droit commun, conformément aux principes absolus du vieux droit gallican.

(8) Annales, 1895, page 476.

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