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LA JUNGLE A MELLE


Le dimanche 20 (en 1941 vraisemblablement) « La Jungle investit Melle. Le journal  Le Mellois publie :

« La Poupée de France » à La Jabotière, les amateurs de spectacles, privés depuis si longtemps de distractions, ont eu le plaisir d’applaudir la petite artiste régionale : « La Poupée de France » dans ses débuts. Agée d’une douzaine d’années, cette fillette interpréta à merveille les chansons de Chevallier, Bach, Fernandel et Georgeus. Elle dansa aussi quelques danses très bien imitées : danses espagnoles, américaines, françaises et même anglaises. Elle termina sa séance par la « Bourrée Auvergnate ». Tout en faisant nos compliments à la jeune artiste, et en lui souhaitant une belle carrière dans le music-hall, nous pensons avec plaisir que le sympathique directeur de la Jabotière nous offrira maintenant quelquefois sur sa superbe scène, des apéritifs-concerts et des soirées récréatives. Reverrons-nous donc bientôt des soirées comme celle de « René de Buxeuil », Yves Rabault, Goulebenèze, pour ne parler que des chanteurs très connus du public ».


Philippe Montazeau1se souvient parfaitement de « La Jungle » à Melle cette année là.

 

« Ils étaient en quelque sorte au repos. Pour aller à l’école, il nous fallait passer devant la ménagerie. Il y avait un gros camion bleu et blanc qui traînait tout le reste, d’abord « La Jungle » pour la présentation au public, puis une grande remorque pour les animaux, deux remorques cages, deux roulottes au moins. Nous aimions aller voir les bêtes. »

 

« A Melle, celui qui entrait dans la cage aux lions, c’était André Laubreton, le marchand de poisson, se souvient Abel Dufloux. Pendant la guerre, un soldat allemand qui voulait en imposer à tous, s’est approché trop près de la cage au lion, un gars de La Jungle est intervenu pour que la bête retire sa patte, mais sans résultat, il a fallu donner de nombreux coups de bâton à ce fauve terroriste pour qu’il consente à abandonner son jouet. Un officier (ou sous-officier) est arrivé de la Kommandantur, la population a témoigné en faveur de La Jungle, et tout est enfin rentré dans l’ordre. »


« Vignolles tournait au milieu de tout ça. Nous eûmes la surprise d’un spectacle un dimanche après-midi. Il y avait un Chinois à l’entrée de La Jungle. Nous avons compris peu à peu que c’était le fameux Vignolles qui s’était déguisé, et qui se cachait sous un chapeau chinois. Les bêtes n’étaient pas rutilantes, la hyène n’avait plus de poils, le lion n’était pas bien méchant, certains en pensant au numéro de cartes dans la cage ironisaient en disant qu’il lui faudrait un dentier » ajoute Philippe Montazeau.


La Jungle à la foire aux pirons (oisons ou petits de l’oie)


« La Jungle » s’aventurait le 26 juin à la foire à Javarzay, très célèbre foire aux pirons (petits de l’oie) où André Ravion se découvre sa passion pour le cirque, passion qui ne le quittera jamais.

 

lola


Paulette chantait « Le chapeau de Zozo » devant les lions et faisait un numéro de poupée mécanique (mime). « Mon père m’avait déguisée à 12 ans en Gavroche, dit Paulette, il me mettait une cigarette dans la bouche et je devais fumer, fumer. Depuis, je n’ai plus jamais arrêté ».

 

paulette_1941.jpgCarte postale de 1941 ; au dos est inscrit: 

Souvenir du 26 juin 1941 jour de foire à Javarzay.

 

Elle ajoute : « Quand j’étais jeune, j’imitais tous les artistes et je dansais toutes les danses. J’ai même été réquisitionnée par les Allemands pour un spectacle pendant la guerre. Je me produisais souvent dans les fêtes locales, deux heures et demie de suite ».


Dans son dernier ouvrage : « Mes deux amours, mon village et la Boutonne », édité en 2008, Robert Sauzeau confie :

« … Juste à côté, il y avait un manège de pousse-pousse pour les grands, tenu par la famille Denoue2, leur beau-frère était Henri Rouffin (frère de Marffa) de Javarzay. Tout à coup, j’entendis les rugissements d’un animal, je demandai à Papa ce que c’était, et il me répondit un lion (…) Arrivés devant de grandes cages avec de gros barreaux, je vis une sorte de gros chat, mais vraiment très gros. Il y en avait un qui avait une grosse crinière, et un autre plus petit. Le grand avec la crinière devait être le papa et le plus petit la maman. Tout à coup le lion se mit à rugir, il me fit si peur que je me réfugiai derrière papa, tétanisé par la crainte (…) Papa me dit que la ménagerie appartenait à Marffa la Corse, celle-ci n’étant pas plus corse que le Pape. Seulement, elle devait être mariée avec un habitant de cette île paradisiaque et le nom de Marffa la Corse devait être un nom d’artiste. Cela va en étonner plus d’un, celle-ci avait des attaches javarzéennes puisqu’elle était la sœur d’Henri Rouffin (…) ».


« Marffa la Corse avait le poil noir comme toute sa famille » se souvient Marcel Ducoin qui l’a souvent rencontrée car sa tante était la couturière de la dompteuse. C’est peut-être son teint soutenu - on aurait dit une vraie corse - qui est à l’origine du nom exotique de la dompteuse. La femme belluaire avait aussi de très beaux yeux verts. Un héritage familial ! « Ma grand-mère Angèle avait un œil vert et l’autre noisette » affirme Paulette. Des yeux d’hypnotiseur dont nous reparlerons plus loin.


Reprenons le fil de l’article du journaliste Michel Pierre. Non sans avoir présenté au préalable les filles de Marffa la Corse et de Georgio. Ce dernier, non divorcé de sa belle Italienne, ne reconnaîtra jamais ses filles qui porteront le nom de famille de leur mère : Rouffin.

 

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Georgette Rouffin (ci-dessus), l’aînée, est née le 10 février 1926 à Toulouse et décédée le 26 mai 2006 à Ailly-le-Haut-Clocher dans la Somme. Elle fut successivement artiste de cirque, dompteuse, et marchande foraine ; elle était l’épouse de Gustave Brion.


Paulette Rouffin, la cadette est née le 13 février 1928 à Toulouse « dans la cage aux lions » au cours d’une représentation, sa mère ayant trop attendu, comportement semble-t-il fréquent dans ce milieu. Belle légende circassienne... Nous nous en doutions et nous verrons plus loin comment Marffa la Corse s’est inventé une naissance dans les mêmes conditions. Paulette à qui nous devons de nombreux renseignements et documents, fut artiste de cirque, chanteuse, etc. Elle s’est mariée deux fois, et vit seule à proximité de Toulouse depuis son dernier divorce. Nous reparlerons d’elle.


De 1939 à 1945 à Loubillé dans les Deux-Sèvres


« …Georgio et Martha ont deux filles : Georgette et Paulette qui, dès leur plus jeune âge, font leurs débuts dans la cage familiale. Les années passent, la ménagerie puis le cirque voguent, avec succès, de villes en villes, de fêtes en foires.

 

paulette.jpg

Paulette était bonne cantatrice.

 

En août 1939, l’horizon s’obscurcit, les fêtes cessent, Marffa et Georgio, qui se trouvent à Montceau-les-Mines3, doivent remiser leur cirque ménagerie. Ils s’installeront alors dans le sud des Deux-Sèvres, à Loubillé près de Chef-Boutonne, où Georgio possède une petite exploitation agricole4.

Quelques temps plus tard, les bêtes doivent être vendues car Georgio et Marffa ne peuvent plus les nourrir. « C’était pendant la guerre, ma grand-mère a vendu son cirque et ses animaux aux Bouglione5 qui l’ont payé en louis d’or », précise Georgina, sa petite-fille. Devenus fermiers, Georgio et Marffa élèvent des poules et des canards. »

 


Pour rappeler le rapatriement des cirques sur leurs bases, nous pouvons consulter le magazine L’illustration du 22 mars 1941 qui titrait photographies à l’appui : « Un éléphant au labour ? »

« Quand la guerre éclate en 1940, le cirque Amar fuit les zones de combat et se réfugie au dépôt à Blois sur les rives de la Loire. Loin des crépitements des mitrailleuses et du grondement des canons, les bêtes sauvages s’entraînent aux travaux agricoles… Les fauves préfèrent sommeiller. Mais leur dompteur ne les laisse pas se rouiller en attendant la fin des hostilités. Piccolo est attelé à la houe. C’est un éléphant de taille modeste… »

 

labour_eleph.jpg

 

Des lions à Loubillé ?

 

Quelle surprise ! « Des bêtes sauvages à Loubillé, ça fait du bruit, mais on s’est habitués » relate René Chauvet. « Quand on est arrivés, nous avons reçu un drôle d’accueil, on nous prenait pour des gitans ! » clame Paulette. Outre les animaux de la ménagerie, et des chiens danois, la Jungle avait deux magnifiques pélicans.

« C’est du côté du Creusot, en venant de Montceau-les-Minesque la Gestapo et les Allemands nous ont encerclés, ont détruit les caravanes, relate Paulette, nous sommes partis à Javarzay… » Visiblement, ses souvenirs compliquent notre récit car Marffa la Corse avait déjà acheté dès 1939 sa propriété au hameau des Maisons-Blanches à Loubillé, cette prétendue ferme modèle comme la décrivait Georgio en mai 1941 à M. Martin, journaliste au Petit Courrier.

 

jungle11.jpg

 

Une ferme modèle

 

Pour se rendre compte de l’« importance » de ce domaine, le mieux est de consulter les actes notariés. Sur l’acte de vente rédigé par le notaire en mars 19556figure l’origine de la propriété :

« Les immeubles présentement vendus appartiennent en propre à mademoiselle Marie-Thérèse Rouffin… savoir :

1. Une partie de terrain sur laquelle est élevée une maison d’habitation, qui a été reconstruite depuis, au moyen de l’acquisition qu’elle en a faite de M. Olivier Victor Gustin7, propriétaire et expert, et madame Aurélie Petit, son épouse (…) le 28 septembre 1939 et 23 avril 1940. Cette acquisition comprenait une superficie de 19 ares environ sur laquelle existait une vieille maison.

2. Le surplus fera l’objet d’actes de vente le 15 novembre 1939 et le 23 septembre 1940. »

 

Projetons-nous en 1955 pour faire le tour de la propriété. En effet, le 19 mars 1955 la propriété était cédée au complet (à peine un demi-hectare, soit 52 ares et 50 centiares) à Pierre Joseph Pizon et son épouse, receveur des postes à Loubillé. Cet acte indique donc que l’installation avait été prévue dès le début de la guerre. En 1943, Marffa fera construire par son frère Fernand, maçon à Lussais, une belle villa baptisée « La Jungle ». Cette demeure n’a reçu depuis quasiment aucune modification.

 

Revenons à l’arrivée de « La Jungle » à Loubillé. Dans un premier temps, il a fallu nourrir les animaux. La vie n’était pas de tout repos. Et des fauves, ça dévore...

 

equarissage.jpg

 

Paul Raphel installé en janvier 1937 fut mobilisé pendant la guerre. Georges Vignolles loue son équarissage pour nourrir ses fauves. La mairie de Loubillé m'a communiqué le 9 février 2012 des lettres attestant ces dires (merci à la municipalité et la dévouée secrétaire de mairie).

 

« Faute de viande fraîche pour cause de rationnement, mon père avait loué un équarrissage à Chef-Boutonne dont l’exploitant était prisonnier de guerre en Allemagne » dit Paulette qui participait à la collecte des cadavres. Du haut de ses 13 ans, chez les clients elle hissait, grâce à un treuil, les animaux crevés dans une remorque vachère tirée par un camion. « Mon père avait fait circuler l’information de notre installation par les gardes-champêtres. Chez nous, il fallait que nous dépecions les bêtes, surtout sans trouer leur peau, sinon c’était la raclée... »

 

Le 28 juin 1940, le maire de Loubillé "prie les autorités d'autoriser à circuler dans les Deux-Sèvres, la Charente, la Charente-Inférieure, de la Vienne, M. Georges Vignolles, équarisseur à Loubillé, pour le ramassage des animaux morts ou accidentés, pour la salubrité publique. M. Vignolles utilise à cet effet une camionnette Citroên avec remoque". Vu à la gendarmerie de Chef-Boutonne le 28 juin 1940.

 

Une deuxième lettre du 28 juin 1940 émane du maire de Loubillé pour demander de "laisser circuler dans les départements des Deux-Sèvres, Charente, Charente-Inférieure, de la Vienne, Mme Rouffin Thérèse et sa fille Georgette pour les besoins de l'approvisionnement de la population civile en articles de lingerie et confection (comme le pratiquait déjà à Javarzay la soeur de Marffa - voir procès).  Ces personnes circulent dans une voiture Matford immatriculée sous le N° 6935. 77A2. Vu à la gendarmerie de Chef-Boutonne le 28 juin 1940.


« Faute de viande fraîche pour cause de rationnement, mon père avait loué un équarrissage à Chef-Boutonne dont l’exploitant était prisonnier de guerre en Allemagne » dit Paulette qui participait à la collecte des cadavres. Du haut de ses 13 ans, chez les clients elle hissait, grâce à un treuil, les animaux crevés dans une remorque vachère tirée par un camion. « Mon père avait fait circuler l’information de notre installation par les gardes-champêtres. Chez nous, il fallait que nous dépecions les bêtes, surtout sans trouer leur peau, sinon c’était la raclée... »

 

Le 25 juillet 1940, Georges Vignolles écrit au maire de Loubillé :

Vignolles, équarisseur à Loubillé, équarissage de Chef-Boutonne.

"Monsieur le maire, l'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir me faire obtenir un laisser-passer avec autorisation de circuler avec mon auto immatriculée n° 1259 X L.3 et ma remorque pour le ramassage des animaux morts ou accidentés.

Le ramassage des animaux me permettra de faire vivre ma ménagerie "La Jungle" à cet effet que j'ai acquis la dite auto et loué l'équarissage de Chef-Boutonne (son propriétaire, Paul Raphel est mobilisé) : mes moyens ne me permettent aps dde pouvoir me procurer un autre moyen de traction.Monsieur le maire, 'espère qu'après votre avis la préfecture me donnera satisfacition et dans le cas contraire je verrai disparaitre ce qui m'a coûté tant d'annééess à récupérer car sans autorisation je ne pourrai continuer à faire vivre ma ménagerie et mon personnel..."

Le maire s'appelle alors : Matard.

 

« Une fois, je leur ai donné un gros veau crevé. Ils avaient aussi des danois, de gros chiens. C’était bien tenu » ajoute René Chauvet encore admiratif.

 

Le 25 juillet 1940, Thérèse Rouffin écrit elle-aussi (mais la letttre ne semble pas de sa main si on en compare l'écriture à celle de son nom en bas de page) au maire de Loubillé  : "Je soumets à votre haute compétence ma situation, je n'ai aucune ressource que mon commerce qui comme vous le savez consiste dans les foires et marchés à la vente de lingerie et confection de dames. Monsieur le maire, je vous prie de bien vouloir me faire établir un laisser-passer pour pouvoir circuler avec ma voiture automobile pour faire le ravitaillement de la population civile en lingerie et confection dans les foires et marchés dont j'ai acquis une clientèle car Monsieur le maire vous devez savoir que j'ai deux fillettes..." Le maire Matard certifie exact et donne un avis très favorable.

 

L'autorisation sera donnée. Marffa se procurait du linge de Cholet, l’esprit camelot de Georgio faisant des miracles. « Les paysannes adoraient nos blouses en satinette noire pour leur bonne qualité, il y avait aussi des mouchoirs, des draps, se souvient Paulette, mes parents nous avaient acheté deux vélos à Angoulême et nous partions vendre ce linge dans la région. » Le linge était souvent troqué contre de la nourriture, des lapins, des volailles. Les vélos qui forçaient l’admiration des copines de Loubillé. Marffa avait également installé un étal de linge sur le marché à Niort et alentours.

 

Une jeune fille noire magnifique accompagnait l’équipe, elle avait 18 ans : « Maousi (qui veut dire petite chatte) était la fille d’un Camerounais - le Cameroun était alors une colonie allemande - et d’une Polonaise. « Ma mère l’avait embauchée ainsi que sa sœur Krista qui était une très belle dompteuse. On les avaient trouvées à Bordeaux, chez les Amar. Personne ne savait d’où venaient ces deux filles, elles n’ont donc jamais été dénoncées. Mais Krista avait préféré partir travailler à l’hôpital d’Angoulême parce qu’elle pouvait mieux s’y cacher, malheureusement elle y est morte de la tuberculose. Elle avait deux filles que nous avons voulu alors adopter, mais elles étaient allemandes. Impossible ! Maousi décédera à Paris, de la tuberculose aussi… Comme son petit frère qui travaillait chez les Bouglione… » relate Paulette. « Maousi émerveillait les jeunes garçons de la région… » confient aujourd’hui ces derniers à mots couverts. « Maousi a fait la connaissance d’un Allemand, à Loubillé, il s’appelait Otto, c’était un vieux de la vieille, dit Paulette, on a pu avoir des pneus, de l’essence… »

 

jungleloubille-copie-1.jpg

La Jungle en 1945.

 

Maousi soignait les animaux, jouait l’interprète pour communiquer avec les Allemands malgré les risques, se rendait chez le boucher à Paizay-Naudouin pour récupérer des os et des déchets de viande. « Elle venait avec une petite charrette à bras » dit une Paizéenne. Jean Patrier, un jeune homme de Loubillé, était employé comme domestique et soignait également les animaux.

 

Les enfants des alentours venaient voir les bêtes dans cette ménagerie, mais se gardaient bien d’entrer sans être accompagnés. Surtout que de gros chiens danois montaient la garde. « Un jour ils se sont échappés, raconte-t-on, nous n’avons été rassurés que lorsqu’ils ont été retrouvés. » Parfois il y avait des accidents. « Les chiens ont mordu le facteur. Et une fois alors que l’on partait à l’école, un danois m’a sauté dessus, j’ai égaré mes sabots, mais je n’ai pas été mordu car quelqu’un de La Jungle l’a rappelé » s’exclame Pierrette Martinet (née Pizon). Qui ajoute : « Un jour, un violent orage menaçait de détruire le hangar métallique où était casée la ménagerie. Tout Loubillé s’est mobilisé, et avec des cordes les gens sont parvenus à empêcher une catastrophe ».

 

A bicyclette avec Paulette


Georgette et Paulette allaient à l’école à bicyclette. « Paulette était une bonne copine, très souriante, Georgette était plus renfermée » se souviennent les petites filles de Loubillé. Disons aussi que les deux sœurs ne s’aimaient pas franchement. Georgette, selon Paulette, avait la fâcheuse habitude de lui jouer de vilains tours.

Les camarades de classe s’étaient donc liées d’amitié avec Paulette qu’elles aimaient écouter chanter. « C’était une douce jeune fille, extraordinairement belle » clame Eglantine Bonnaud, joyeuse d’évoquer de tels souvenirs. « Ma sœur et moi, relate Paulette, tous les soirs nous allions chercher le lait au village. » Précisons que tous les garçons de Loubillé s’en souviennent…

Paulette revoit encore les lapins angora de Chassino, mais elle confie « ne pas avoir soupçonné le parcours international de cet ombromane ».

 

La bonne ficelle


Malgré la guerre, il fallait faire vivre « La Jungle » et payer le personnel. Les propriétaires de l’établissement sauront « caresser les autorités » et câliner les maquisards pour obtenir les bonnes grâces de tous. A l’étonnement général, Georgio circulera en voiture (équarissage), sans problème pendant toute la durée de la guerre… Et « La Jungle » pourra même offrir des représentations. « Mon père, ancien camelot, avait du bagout » dit Paulette. Il savait obtenir de bons papiers. « Nous demandions à la kommandantur l’autorisation de nous produire dans les villes de la région. Un permis de circuler nous avait été établi. » Ce qui provoquait parfois l’ire de quelque cafetier de Loubillé… Les promesses à la population allaient bon train. « On n’avait pas de ficelle pour les lieuses, que de la ficelle en papier qui ne souffrait pas l’humidité, narre René Chauvet, Vignolles avait dit au père Jousse qu’il pouvait lui trouver de la ficelle de sisal, s’il avait du liquide à lui donner .» Ce qui fut fait pour l’argent liquide, mais la ficelle est encore à livrer.


Marffa aurait porté de la nourriture aux maquisards dans les bois de Loubillé (ce qui nous semble inexact). Elle n’était pas la seule, d’autres personnes... Du côté des Chassino, on nourrissait aussi les maquisards, mais sans doute avec plus de désintéressement, et dans la plus totale discrétion…


Pour se déplacer, l’essence étant rare, Georgio ne mettait en route que le premier camion qui halait à petit pas le train de roulottes et de remorques. Ecoutons Paulette : « Georgette était au volant d’un autre camion moteur à l’arrêt, juste pour guider l’engin en remorque au milieu du convoi lequel se déplaçait très lentement. Dans les côtes, en limite de souffle, ce dernier avançait au pas. Un jour, en juin, sur le bord de la route… un gros cerisier. Georgette me dit d’aller vite fait cueillir des fruits. Je fonce et j’en ramasse le plus possible. Sans surveiller le convoi qui s’est mis à filer d’autant plus vite qu’il venait d’aborder une descente. Je ne l’ai jamais rattrapé… Mon père me l’a fait vivement regretter… »


Les Allemands avaient appris qu’une petite fille de Loubillé possédait une voix extraordinaire. « Ils m’ont réquisitionnée pour chanter pour eux, c’était de vieux soldats qui avaient des enfants au pays, ils avaient les larmes aux yeux, relate Paulette, mon père a fait faire une carte postale où je figurais de face et sous chaque profil. La vente de cette carte a permis de payer les meubles de notre maison. »

 

La communion était solennelle

Paulette a finalement conservé de bons souvenirs de Loubillé. « J’y ai fait ma première communion, dit-elle, j’ai demandé au curé mais il a d’abord refusé au prétexte que je n’avais pas été au catéchisme. Mais je lui ai rétorqué que je le connaissais par cœur. Il n’a pas sourcillé… » Eglantine Bonnaud nous rapporte que Paulette avait une robe de communion éclatante. Le dimanche de la cérémonie « devant la foule qui la portait aux anges », la « Poupée de France » a chanté « Tiens ma couronne, je te la donne… ». Elle précise que sa sœur était jalouse de ce succès.


Les filles n’avaient guère le temps de s’amuser. « Nous avons dû aider mon père à planter soixante arbres fruitiers - du bon boulot car ils sont toujours en place. On avait dû acheter un lot de chèvres de réforme car nous manquions de viande. Mon père m’avait ordonné de les garder, les chèvres ont mangé le carré de blé d’un paysan à côté, il a fallu payer et je me suis pris une tournée. »


La guerre approche de sa fin. Angèle Renaud décède le 9 décembre 1944 à Chef-Boutonne. Elle laisse une petite maison au sol battu et peu de meubles. Paulette se souvient d’un coffre à linge comme il en existait antan dans les maisons du Poitou. « J’étais revenue pour assister aux obsèques, dit-elle, car je m’étais cavalée quelque temps avant avec un gars à Bressuire, il était chez ses cousins qui avaient un cirque, j’ai cru que c’était le fils de la maison. Des forains avaient mis en garde mon père contre ce gars originaire de Cognac. »

 

Mais le mariage sera fait, défait, refait… Des enfants naîtront : une fille en 1945 à Cognac puis un fils en 1947, et deux filles en 1954 et 1956. Paulette quittera « La Jungle » et se fixera à Toulouse où elle chantera à « La Halle aux grains ». Elle prendra une retraite méritée à 75 ans après une vie de labeur et un nombre incalculable d’heures de ménage.


1 Nous le remercions de ses communications précises et révélatrices.

2 Camille Desnoue, cordier à Javarzay, avait épousé Fernande (Suzanne) Renaud, demi-sœur de Marffa la Corse.

3 Paulette affirme que ce sont les Allemands qui les ont délogés de Montceau-les Mines. Mais leur arrivée ne s’est faite dans cette région qu’en juin 1940.

4 En tout un demi-hectare, la première parcelle avait été achetée en décembre 1939, la seconde en mars 1940.

5 D’un côté Paulette confirme avoir été placée trois mois chez Bouglione pour mettre en route la ménagerie, de l’autre pour des gens de Loubillé les animaux seraient morts sur place à la fin de la guerre, car trop vieux, pas assez nourris.

6 Les enfants Pizon ont bien voulu aimablement nous le communiquer.

7 A la suite en 1938 de M. Chataigneau.

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